Franceactu.info

« L'unité retrouvée au RC Lens : quand les "somewhere" et les "anywhere" se réconcilient »

Succès du club prouvant que l'ancien foot est révolu : l'identité des Sang et Or préservée, brisant le fossé entre les partisans des nouvelles tendances et des traditions.


Publié le 16/12/23 06:11 | Modifié le 16/12/23 06:11
Source : Le Figaro
Temps de lecture : 3 min
« L'unité retrouvée au RC Lens : quand les "somewhere" et les "anywhere" se réconcilient »
À la fin du match, les supporters se serrent dans les bras, se secouent et hurlent.

Ce mardi soir-là, le 12 décembre, un mélange de joie, de soulagement et d'ivresse envahit les 38 000 spectateurs du stade Bollaert, le repaire du RC Lens.

L'équipe d'Artois vient de battre le FC Séville (2-1) lors de la dernière journée des phases de poules de la Ligue des champions, la compétition mère des coupes d'Europe.

Elle termine troisième de son groupe, ce qui signifie sa qualification pour les barrages de la Ligue Europa, la petite sœur européenne.

Ce n'est pas un exploit, certes, mais une belle performance dans un groupe relevé, composé d'Arsenal, du PSV Eindhoven et donc du FC Séville.

Les Andalous ont du mal en ce début de saison (16e de la Liga), mais ils restent une forte équipe du championnat espagnol. Cette victoire de l'équipe de Franck Haise, l'entraîneur du RC Lens, est le dernier événement d'un an et demi où presque tout a réussi au club nordiste, deuxième de la Ligue 1 la saison dernière, derrière le PSG.

Loin d'être le fruit du hasard, c'est le résultat d'un ensemble (une approche de jeu ambitieuse, des choix sportifs audacieux) et surtout d'une politique globale : c'est la réconciliation, voire l'alliance, entre les "anywhere" (les gens venant de partout) et les "somewhere" (ceux de quelque part), comme les définit l'écrivain britannique David Goodhart dans son livre Les Deux Clans.

La nouvelle fracture mondiale. Selon David Goodhart, la mondialisation a créé une nouvelle division.

D'un côté, il y a ceux qui se considèrent "de partout".

De l'autre, ceux qui se sentent "de quelque part".

Les premiers (20 à 25% de la population) ont une "identité portable".

Ils bénéficient de la mondialisation et valorisent une diversité dont ils n'envisagent que les effets positifs.

Les seconds (50% de la population, les 25% restants se situant entre les deux, selon Goodhart) sont plus enracinés et attachés aux valeurs traditionnelles, et souffrent de l'économie mondialisée.

Les "somewhere" ont été témoins de la désindustrialisation de près et sont durement touchés par la disparition de la culture ouvrière. Le football n'échappe pas à cela.

Ou plutôt, le football est la meilleure illustration de cette division.

Petit à petit, les noms des stades sont devenus des noms de compagnies d'assurance, les écussons sont devenus des logos aseptisés.

Si l'essence du jeu n'a pas changé, que le niveau technique et tactique n'a jamais été aussi élevé, quarante années de libre-échange et de mondialisation ont creusé un fossé entre les supporters, les clubs et ceux - joueurs et dirigeants - qui les composent.

Dans son livre Au cœur du grand déclassement.

La fierté perdue de Peugeot-Sochaux (Les Éditions du Cerf, 2022), Jean-Baptiste Forray, rédacteur en chef adjoint de La Gazette des Communes, raconte la grandeur d'un monde disparu, celui du FC Sochaux, un club enraciné dans un territoire, passé de l'ère du capitalisme paternaliste de la famille Peugeot à l'ère de l'internationalisation du groupe. La généralisation de la multipropriété est le dernier exemple de cette métamorphose.

Tel un jeu de dominos, tous les clubs de Ligue 1 tombent les uns après les autres dans cette tendance : Paris, Monaco, Lyon, Clermont, Nice, Toulouse, Lorient, Strasbourg...

huit clubs français sont désormais détenus par un propriétaire qui en possède d'autres, que ce soit comme projet phare ou simple filiale de superstructures mondialisées. Au milieu de ce tableau peu reluisant, les Sang et Or se démarquent.

Bien sûr, le champion de France 1998 n'est pas vraiment le symbole du football d'antan.

Depuis 2018, son président est Joseph Oughourlian, diplômé d'HEC et de Sciences Po Paris, à la tête d'un fonds d'investissement britannique.

Un "anywhere" en terre ouvrière.

"J'avais conscience d'arriver d'un autre monde en tant que financier", avouait-il en octobre sur RMC. Mais voilà.

Le club de l'ancien bassin minier du Pas-de-Calais, où l'on chante "Les corons" de Pierre Bachelet à la mi-temps, a su préserver son identité tout en reconnaissant que, à l'ère de la mondialisation plus ou moins heureuse, le football traditionnel est de l'histoire ancienne.

C'est l'une des raisons pour lesquelles le club a dépensé une somme importante (35 millions d'euros) pour recruter l'attaquant Elye Wahi, en provenance de Montpellier, l'été dernier.

Un record pour les Nordistes. À Lens, on a compris que, sur cette terre des corons, demain ne se construit pas sans connaître hier.

En somme, la renaissance de Lens, qui semblait s'être engouffrée dans un tunnel sans issue, montre que le fossé entre les "anywhere" et les "somewhere" n'est pas infranchissable.

Au contraire, leur rapprochement peut faire vibrer un stade et une région.

Un exemple à suivre ?

Les articles les plus lus


Autres actus Sport


Découvrez tous nos autres articles sur le même thème

Plus d'actu Sport
Suivez France Actu