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Comment la figure de Jean-Luc Mélenchon est devenue un plus grand repoussoir que celle de Marine Le Pen

Selon des enquêtes d'opinion, le fondateur de La France insoumise est plus rejeté que l'ancienne présidente du Rassemblement national.


Publié le 03/07/24 18:00 | Modifié le 03/07/24 18:00
Source : franceinfo
Temps de lecture : 5 min
Comment la figure de Jean-Luc Mélenchon est devenue un plus grand repoussoir que celle de Marine Le Pen
A mesure que l'une se dédiabolise, l'autre inquiète de plus en plus.

Depuis que le Rassemblement national (RN) et ses alliés sont arrivés en tête au premier tour des élections législatives, le 30 juin, les représentants de l'extrême droite ont fait du Nouveau Front populaire (NFP) leur principale cible.

Le président du parti, Jordan Bardella, a qualifié "l'extrême gauche" de "menace existentielle".

Son camp a multiplié les attaques, souvent fausses, contre le NFP, accusé par exemple de vouloir désarmer les policiers.

Dans ce flot d'offensives, un nom revient en boucle : celui de Jean-Luc Mélenchon, associé au "chaos" par le porte-parole du RN, Julien Odoul, sur franceinfo. à lire aussi Liste des candidats au second tour des législatives 2024 : découvrez qui se présente dans votre circonscription grâce à notre moteur de recherche La stratégie du RN est claire : agiter le chiffon rouge Mélenchon pour discréditer l'alliance des partis de gauche. Il faut dire que le fondateur de La France insoumise fait figure d'épouvantail pour une majorité d'électeurs, y compris à gauche.

Son hypothétique nomination à Matignon serait "une mauvaise chose" pour 78% des personnes interrogées, selon un sondage Ipsos publié le 27 juin.

Dans cette enquête, aucune autre personnalité politique n'enregistre un tel taux de rejet, pas même la députée RN Marine Le Pen, avec 55% d'opinions défavorables.

Dans un autre baromètre Ipsos pour La Tribune du Dimanche, publié le 22 juin, seul Eric Zemmour suscitait plus de mécontentement que Jean-Luc Mélenchon dans la perspective de la présidentielle de 2027. L'accusation d'antisémitisme, "un poison parfait" Comment le troisième homme de la présidentielle 2022 en est-il arrivé là ? "C'est une longue histoire", explique à franceinfo Etienne Ollion, directeur de recherche en sociologie au CNRS.

"On pourrait faire la chronique de ses excès, comme l'épisode de 'La République, c'est moi' [lors d'une perquisition à son domicile en 2019] ou son emportement contre des journalistes", énumère-t-il.

"Des prises de position de Jean-Luc Mélenchon, notamment sur l'international, ainsi que sa façon antagoniste de faire de la politique expliquent largement ce rejet", ajoute Mathieu Gallard, directeur de recherche chez Ipsos. Depuis plusieurs mois, ce rejet de Jean-Luc Mélenchon déteint sur son mouvement politique.

L'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 a marqué "un basculement" pour LFI, souligne Etienne Ollion.

Des cadres du parti ont été critiqués pour avoir un temps refusé de qualifier le Hamas d'organisation terroriste.

D'autres se sont vu reprocher une forme d'antisémitisme.

"Cette accusation, réelle ou supposée, est un poison parfait", qui a envenimé les campagnes européennes et législatives de la gauche, estime le sociologue. La disgrâce du meneur des "insoumis" coïncide avec un autre phénomène, entamé de longue date : la dédiabolisation de Marine Le Pen et du RN. "On est à un croisement des courbes de la peur que produisent le RN et LFI", note Mathieu Gallard.

"On assiste à un déplacement de la figure du diable, qui était occupée par Jean-Marie Le Pen il y a 20 ans." Etienne Ollion, directeur de recherche en sociologie au CNRS à franceinfo "Dès sa prise du parti en 2012, Marine Le Pen a mis en place une entreprise de dédiabolisation en lissant le programme du RN, même si ses éléments centraux demeurent, et en reléguant les personnages les plus problématiques au second plan", décrit Etienne Ollion.

Alors que le RN a longtemps été vu comme un parti antisémite, la présence de Marine Le Pen à la marche contre l'antisémitisme en octobre 2023 a symbolisé l'aboutissement de sa stratégie.

Les élus LFI, eux, n'y ont pas participé, s'attirant de nombreuses critiques. Une "stratégie de scandalisation" à l'Assemblée nationale Après l'élection de 89 députés RN en 2022, Marine Le Pen a instauré une discipline de groupe.

Tenue correcte, courtoisie et retenue exigées, une "stratégie de la cravate" destinée à afficher la respectabilité de ses élus.

Tout l'inverse de LFI, qui a choisi "une stratégie de scandalisation", selon Etienne Ollion.

Les élus "insoumis" se sont différenciés par des coups médiatiques à l'Assemblée nationale, en brandissant des pancartes contre le recours au 49.3 pour la réforme des retraites en mars 2023 ou en s'affichant habillés aux couleurs du drapeau palestinien en juin dernier. "Cette stratégie avait marché en 2017 et les députés LFI s'étaient fait entendre alors qu'ils étaient moins de 20, mais cela a créé des tensions en 2022, notamment avec les élus macronistes", observe le chercheur.

Cette attitude a valu aux députés mélenchonistes d'être accusés de "bordéliser" l'hémicycle par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

"Je n'en peux plus de siéger dans cet hémicycle", a aussi soufflé la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, en juin 2023. Ces dernières semaines, lors de la campagne des élections législatives anticipées, le camp présidentiel a accentué ses critiques. "Dans la majorité, on a entendu parler de lutte contre 'les extrêmes', avec un signe égal placé entre LFI et le RN." Etienne Ollion, directeur de recherche en sociologie au CNRS à franceinfo Le "ni-ni" du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, lundi, sur France Inter, a provoqué la colère de l'écologiste Marine Tondelier.

Au fil des ans, "la majorité a été très active pour opérer une transformation dans le langage et les pratiques", rappelle Etienne Ollion.

"Après l'élection d'Emmanuel Macron face à Marine Le Pen en 2022, le front républicain n'a pas vécu longtemps.

Les macronistes ont alors commencé à parler d'un 'arc républicain', qui exclut de fait LFI", note-t-il. Quel effet sur le second tour des législatives ? Ces évolutions ont eu des retombées dans la presse et sur les plateaux.

"Une série d'espaces médiatiques reprennent le vocabulaire sur 'les extrêmes' et l'accréditent", observe Etienne Ollion.

En outre, des leaders de gauche s'agacent des questions récurrentes des journalistes au sujet de Jean-Luc Mélenchon.

"Cette campagne très courte n'a pas été menée sur les programmes, mais sur les personnes et les stratégies", relève le sociologue, "ce qui a renforcé la tendance du journalisme politique à se focaliser sur ces sujets plutôt que sur les idées et leurs conséquences". A quatre jours du second tour des législatives, les conséquences de la diabolisation d'une partie de la gauche sont encore incertaines.

Influencera-t-elle le vote des électeurs Renaissance en cas de duel entre le NFP et le RN ? Le risque du "ni-ni" est "d'accroître la confusion auprès des électeurs qui doivent faire un choix au deuxième tour", estime Etienne Ollion. L'appel de Gabriel Attal "à ne pas donner une voix au RN" pourrait ne pas être entendu. Selon un baromètre Odoxa pour Public Sénat publié le 25 juin, 47% des votants sondés se disent prêts à faire barrage au NFP, soit davantage que les 41% qui veulent barrer la route au RN. "Le problème, c'est que la gauche avait besoin de LFI et de Jean-Luc Mélenchon pour le premier tour, mais leur présence devient un vrai handicap pour le second." Mathieu Gallard, directeur de recherche à l'institut Ipsos à franceinfo Au-delà des législatives, l'effet repoussoir pourrait-il de nouveau s'inverser ? Pour Mathieu Gallard, tout dépendra de la situation "une fois que Jean-Luc Mélenchon sera sorti de la politique" : "Le parti sera-t-il encore fort ou s'écroulera-t-il sans son fondateur ?" Dans l'immédiat, la stratégie adoptée par les "insoumis" et l'ensemble de la gauche dans la prochaine Assemblée nationale pourrait s'avérer déterminante.

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